Devoir de vérité
« On m’a condamné avant de me juger. Je révèle ici tout ce qu’on vous a caché. Voici le récit d’une longue épreuve et d’une renaissance. »
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Format Broché
EAN13 9782845927957
ISBN 978-2-84592-795-7
Éditeur Presses du Châtelet
Date de publication 11/09/2019
Collection Essais
Nombre de pages 288
Dimensions 22 x 14 x 2 cm
Poids 380 g
Langue français
Présentation
Ce livre n’est pas un plaidoyer pour ma défense. Ce n’est pas non plus une invitation à s’apitoyer sur mon sort. C’est le récit, franc et sincère, d’une épreuve difficile et douloureuse.
J’ai retranscrit dans les pages qui suivent les pensées et les sentiments qui m’ont habités depuis le 20 octobre 2017 (date de la première plainte déposée contre moi et m’accusant de viol), jusqu’au moment où j’écris ces lignes en avril 2019. Une année et demie qui a tout bouleversé en moi et autour de moi, comme si un ouragan s’était abattu sur ma vie. Neuf mois et demi de prison, un impitoyable déluge médiatique, une famille ébranlée, une souffrance profonde, des larmes et une multitude de questionnements. Sans compter mon état de santé qui s’est sérieusement aggravé : les symptômes de ma sclérose en plaque ont colonisé mon corps. Pendant plus d’une année, je n’ai plus pu marcher qu’avec un déambulateur.
En suivant la chronologie des faits, je suis revenu sur les différentes étapes de cette affaire. La garde à vue, fin janvier 2018, m’a emporté dans une autre réalité et m’a fait entrer dans un univers qui m’était inconnu. La police, les juges, la prison et l’isolement complet. Alors que, depuis plus de trente ans, j’étais habitué à voyager une ou plusieurs fois par semaine, que ma vie se définissait par une activité intense, voilà que tout s’arrêtait net. J’ai voulu, dans ce livre, raconter mon expérience, traduire mes sentiments et rendre compte de mes réflexions, de mes convictions autant que de mes blessures.
L’exposé des différentes étapes des épreuves, de la garde à vue à la campagne médiatique qui l’avait précédée, de la prison Fleury-Mérogis aux auditions des juges, de Fresnes à ma libération, est traversé par mes réflexions sur l’état du monde, la société française, la justice, le système carcéral, la déshumanisation, etc. J’ai également retranscrit mes méditations sur la vie, la foi, la quête de Dieu et du sens, le destin des Hommes, l’adversité, le pardon et la mort. J’ai aussi pris le temps de faire un bilan de conscience : mon passé, mes erreurs, mes faiblesses et mes espoirs. Malgré la prison et l’isolement, j’ai reçu beaucoup d’amour durant cette épreuve.
Comment expliquer ce qui m’est arrivé ? Si je suis innocent, alors pourquoi ces femmes ont-elles menti ? Pourquoi, à l’ère de #MeToo et de #BalanceTonPorc (la différence de formulation est en soi révélatrice), a-t-on si vite adoubé et rendu crédibles des plaintes dont l’exposé était, en soi, invraisemblable ? Pourquoi, lorsque l’on fait le compte, ai-je été le seul homme jeté ainsi en prison ? Pourquoi la présomption d’innocence n’a compté pour rien dans mon cas ? Pourquoi enfin, lorsque je clamais mon innocence et niais les accusations, les médias et tant d’intellectuels et de chroniqueurs, concluaient que je « persistais à nier » ? Par quelle force intellectuelle et sociale tous ces esprits furent-ils si vite convaincus de ma culpabilité malgré les innombrables mensonges des plaignantes et l’absence de preuves objectives ? Beaucoup m’ont déjà condamné, m’ont insulté et m’ont diabolisé : j’étais de toute façon un personnage odieux et si je n’étais pas coupable, il n’y avait de toute façon « pas de fumée sans feu ». La formule laisse perplexe. Que dit la fumée d’un crime si objectivement le crime n’existe pas ?
N’existe-t-il pas de raison politique à la façon dont mon dossier a été géré et instruit? Les participants aux rassemblements organisés régulièrement devant l’EPSNF de Fresnes et qui scandaient : « Libérez Tariq Ramadan ! Tariq Ramadan, prisonnier politique ! » avaient-ils tort ? Considérer la donnée politique est capital et éclaire mon affaire d’un jour nouveau. Cette dernière dit quelque chose non pas seulement sur les manœuvres politiques et les manipulations médiatiques mais, plus profondément, sur l’état de la France, sa difficulté à composer avec son passé colonial, à penser positivement sa diversité culturelle et religieuse, à concevoir une vraie égalité humaine et citoyenne entre toutes les femmes et tous les hommes qui aujourd’hui la constituent.
Cette épreuve fut une initiation. Jeté en prison et appelé, par une brutale et injuste décision, à faire face à ma conscience et à établir le bilan de mon existence, j’ai essayé d’en retirer le meilleur. Il fallait, au sens holistique, retrouver la santé, guérir, et grandir. Ce fut ma quête, celle de la transparence, de la sincérité, de l’harmonie et de la paix.
Sur la route, il faut bien sûr dépasser le ressentiment, la rancœur ; laisser derrière soi les adversités, les pensées sombres et les reproches. Demander pardon à ceux à qui l’on a fait du mal ou que l’on a déçu, et pardonner à ceux qui nous ont blessés. Mieux aimer ceux que l’on aime et se libérer de l’animosité ou des déceptions de ceux dont la vie et le cœur nous ont séparés.
Au bout de la nuit, Bardamu, le personnage de Céline, avait appréhendé le non-sens, la misère humaine, le mal-être profond noué à la torture de la conscience. Ma nuit était tombée, certes, et je n’avais d’autre choix que de la traverser avec humilité et confiance en dialoguant seul et silencieusement avec Dieu, avec mon cœur et les êtres que j’aime. Au bout de ma nuit se révèle à moi un horizon éclairé, une lumière, le négatif du négatif de Céline. Matin. Ici, il n’existe certes aucune illusion sur la méchanceté des hommes et leur capacité à déshumaniser et à détruire, mais il est une conviction et une espérance plus fortes. A l’aube, on voit poindre un sentier, une voie pour cheminer, grandir et renaître. Plutôt que de jeter son dévolu sur le monde, revenir à soi. Le voyage dans la nuit est un voyage au bout de soi. Ici, au plus profond de l’être, il existe une étincelle qui exige discipline, courage et amour et qui est une promesse de santé et de guérison spirituelles. Un dépôt, une sagesse. Au bout de la nuit, tout est possible. C’est cet enseignement essentiel, pour moi-même, pour chacun, pour tous, que j’aimerais, avec humilité, partager ici avec le lecteur.
Tariq Ramadan